Le récit de la Western States Endurance Run 2017

La Western States Endurance Run 100 miles 2017.

J’en ai rêvé depuis de long mois et me voilà sur la ligne de départ, dans la fraîcheur matinale de la Squaw Valley, site des Jeux Olympiques d’hiver 1960.

Une course cochée dans mon calendrier depuis presque 1 an. J’ai réussi à m’y inscrire via l’Ultra Trail World Tour qui m’a retenu parmi les chanceux grâce à leur dynamique d’aide aux coureurs participants à l’UTWT.

C’est la veille de Noël que j’apprends cette excellente surprise qui sonnera le début d’une préparation spécifique assidue de 6 mois.

Au programme, un Ultra à Madère en course préparatoire, et des entraînements aux petits oignons préparés par coach Pascal de « Trail Coaching ».

Tout se passe parfaitement, des longues sorties vélo aux courses éprouvantes sur tapis roulant en sur-chaleur. Les chronos des séances sont respectés, accompagné par mon « pacer » Xavier sur quelques séances spécifiques et sous les encouragements de Cyril et Totor.

Aucune blessure à signaler grâce aux petits soins hebdomadaires de Kévin, à ceux plus ponctuels de Victor mon ostéo et à une nouvelle paire de semelles confectionnée par Michel.

Xav prend son rôle très au sérieux et étudie pour moi dans les détails tous les aspects de la course !

Bref, la préparation est bouclée lorsqu’avec Céline nous nous envolons deux semaines avant la course pour San Francisco.

Deux semaines d’acclimatation progressive qui nous mènent rapidement à plus de 40°C à l’intérieur des terres via les grands parcs ouest américains : Yosemite, Sequoïa Park … Vallée de la Mort ! A l’occasion de quelques petites sorties, je m’aperçois que je supporte très bien cette chaleur inhabituelle.

Tout se présente au mieux.

Une semaine avant la course, nous récupérons Xav à l’aéroport pour prendre le chemin du parcours de la WSER. Ca y est nous y voilà !

Dès le lendemain, repérage des 20 derniers kilomètres de la course. Il fait…très chaud ! Malgré tout je me sens bien et me voilà dans de bonnes dispositions mentales et physiques pour prendre le départ de cette course mythique, qui fût auparavant équestre avant d’être aujourd’hui pédestre !

De la Squaw Valley à Auburn : 100 miles = 161 kilomètres…avec 18000 pieds de D+ (5500m) et 23000 pieds de D- (7000m) .

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Veille de course, check-in et récupération des souvenirs et de la puce. Nous voilà immergés dans l’événement.  Dans l’après midi je m’offre une bonne sieste ! Par contre la nuit,  pression + excitation = une nuit blanche ! Ce sera le seul point négatif de tout l’avant course mais le repos a été optimisé tout au long du séjour donc aucunement lieu d’être inquiet.

Samedi 24 juin, 5 heures du mat. dans l’Ouest américain.

A savoir qu’ici on ne prend possession du dossard que quelques minutes avant le coup de pistolet ! Original.

Dernier petit moment en compagnie de l’assistance.

Sur la ligne de départ, je fais le point sereinement. Préparation ok, acclimatation parfaite, logistique au top et assistance  prête comme toujours. Tout se présente bien.

Depuis la veille, le compte à rebours égrène heures et minutes. Maintenant plus que 7’. La pression monte. L’impatience se fait ressentir.

Il a neigé très tardivement sur le massif de la Sierra Nevada et face à nous les premières hauteurs sont encore blanches. Malgré tout, la température laisse présager une des éditions les plus chaudes.

Au vu des conditions j’ai choisi de courir avec des chaussures de trail dotées d’une bonne accroche.

Pour mon hydratation, j’ai opté, au moins pour la première partie de course, pour mon gilet Raidlight Responsiv garni de deux flasques : une grande de 750ml avec ma boisson énergétique Hydraminov et une petite de 350ml avec de l’eau. J’ai glissé un gel Effinov dans l’une des poches facilement accessibles.

Ma tenue est simplifiée allégée et aérée au maximum avec short/maillot légèrement modifiés,

L’atmosphère sur la ligne de départ est en apparence détendue. L’arche de départ est simplifiée à l’extrême. Tous les concurrents sont massés le regard tourné vers la piste qui monte vers le premier sommet.

Les secondes s’égrènent, le compte à rebours est lancé, 5h00 va bientôt sonner.

Nous y voilà, c’est parti !

Le peloton de coureurs s’élance à allure très raisonnable mis à part l’américain Jim Walmsley qui fait un départ canon. A tel point qu’au bout de deux lacets, il disparaît de mon champ de vision !

Je m’en tiens à ma décision d’un départ prudent, dans l’idée de faire une course régulière. Et je suis très satisfait de mon rythme régulier et en aisance.

Juste devant moi, Thomas Lorblanchet. On doit être vers la 10/15ème place. Sa présence à ce niveau me rassure au vu de son expérience sur cette course (4 et 5ème les deux années précédentes).

Hormis Jim Walmsley et le futur vainqueur , le sud africain Ryan Sandes, le groupe que nous formons reste compact. Nous enchaînons les lacets et j’ai la surprise de découvrir à mes côtés, après 500m de montée, la première femme !

Le col approche et nous entamons nos premières foulées dans la neige avec les petites glissades qui vont avec …

Apparemment plus à l’aise dans la neige que la majorité, je grappille des places, mais sans y prêter véritablement attention, n’ayant aucune notion de mon classement provisoire.

Le seul que je connaisse vraiment, Tom, semble avoir un peu décroché.

Dans notre dos, le soleil se lève, magnifique, au dessus de la montagne et nous délivre ses premiers rayons, effaçant définitivement la fraîcheur qui nous accompagnait. Je me retourne régulièrement pour l’admirer au dessus des montagnes. C’est un spectacle inoubliable.

Un attroupement  signale le passage au col.

Watson’s Monument : 6km de parcourus et presque 700m de dénivelé soit environ 1/8ème des 5500m de la course.

Passage du col sous les encouragements d’un public venu nombreux, et je bascule avec l’espagnol Tofol Castanyer. Nous laissons temporairement la neige pour un petit single descendant et roulant.  Je reste dans la foulée de Tofol.

Dès les premières parties boisées, la neige réapparaît en quantité. Plus trace de sentier, nous naviguons à vue de fanions en fanions. La progression est plus compliquée ! La neige est très épaisse, formant des entonnoirs autour des arbres. Il faut souvent se faufiler sur la crête pour ne pas glisser, et courir au pas lorsque le dévers est trop important.

Avec les grandes chaleurs, la neige fond très rapidement. Nous en avons un aperçu, puisque régulièrement, nous ne voyons plus les petits fanions roses plantés 24h avant. Avec la fonte, ils sont tombés ! Ca devient hasardeux. On hésite et on cherche pour en retrouver certains. Le peloton s’étire, se regroupe, s’étire à nouveau. Je me fie à l’américain Alex Nichols pour éviter de me perdre. Bien m’en prend car à plusieurs reprises je manque de peu de partir dans la pampa.

A l’approche du premier ravitaillement de Lyon Ridge, l’épaisseur de la neige se réduit. Nous traversons de nombreux torrents  nous obligeant à nous mouiller les pieds.

Quatorzième km, la neige laisse de plus en plus de place à des portions de sentiers abimés par l’hiver. Un mauvais appui et la course manque de se terminer précocement. Mon pied disparaît sous la neige dans une poche d’air, je bascule en avant tout en voyant un gros rocher approcher dangereusement. Je réussi à m’en protéger avec mon bras. Mais je n’esquive pas celui d’à coté sur lequel mon cou rebondit.

Légèrement sonné, je me relève et repars, voulant rester sur les talons d’Alex.

La chute qui aurait pu être grave m’amène à cogiter. Mais pourquoi je cours ? Pourquoi je prends ces risques ? J’ai les enfants à la maison, est-ce que ça vaut le coup de prendre de tels risques à faire du trail ?

J’arrive à Lyon Ridge, et toujours calé dans la foulée d’Alex je remplis mes flasques.

Bientôt de nouveaux et nombreux névés parsèment le sentier et nous voilà contraints à escalader des amas de neige et à contourner les arbres tombés pendant l’hiver.

Tantôt je passe devant Alex, tantôt il prend les devants.

Les 5 miles (8km) de sentier de crête sont loin d’être comme je l’imaginais c’est à dire roulants et tranquilles !

Soudain je suis stoppé net par un bout de branche cassée dépassant du sol. Pas vue. Elle me rentre dans le pied. La douleur est vive sur le moment et même si elle n’est pas grave elle m’accompagnera tout le reste de la course.

Encadré par Alex juste derrière, et Tofol juste devant j’arrive à Red Star Ridge. Ravitaillement rapide au 25,4ème kilomètre.

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La neige disparaît. Le sentier devient plus praticable malgré de nombreuses ornières et quelques arbres toujours en travers. Nous progressons plus rapidement sur cette crête dominant le French Meadows Reservoir. Encore quelques petites glissades sur la neige puis nous nous engageons dans la descente vers le premier ravitaillement où doivent attendre Céline et Xav.

Alex prend quelques longueurs et Tofol ne tarde pas à me doubler. Je reste sur ma stratégie de départ prudent. Nous n’avons fait que 1/6ème de la course…

Au 21ème mile (env. 33km), la descente devient claire. Nous enchaînons les lacets, mais contrairement à nos sentiers français, la pente est très faible et nous pouvons embrayer sur une bonne allure. L’idée pour moi est de me préserver jusqu’au 61ème kilomètre, à Dusty Corners. Et pour l’instant la douleur au pied est encore importante. Je patiente.

De la vallée montent les premières rumeurs en provenance du poste de ravitaillement du 24,4ème mile (39,3km).

Je suis impatient de retrouver mes assistants après un début de course loin d’eux. Dès l’entrée dans le poste on m’appelle. Je me dirige vers Céline et lui laisse mes flasques.

Elle me remet des flasques pleines et me redonne un gel pendant que j’enchaine deux grands verres de coca bien frais. Un plaisir !

Encore un tiers de banane pris au vol et je repars après un ravitaillement express.

Parfait ! Je suis dans la course malgré mon air un peu déconfit au vu de cette première partie de course inattendue avec neige et chemins en bien mauvais état.

Mais la course reprend ses droits et il s’agit maintenant de dévaler une portion de descente rapide qui mène au pied de la montée sur Foresthill.

La température est confortable. Ce sera toujours 40km de parcourus « à la fraîche » !

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Franchissement de ruisseau et me voilà parti au petit trot dans l’ascension. Des plaques de neiges éparses apparaissent au fur et à mesure de la montée mais sans gêner vraiment. La progression se déroule sans nouvel incident ca qui permet de soutenir une bonne allure régulière et maitrisée.

Duncan Canyon est à 9,5km derrière moi lorsque j’atteins le poste de Robinson Flat. Toujours un public et des bénévoles chaleureux.

L’un d’entre eux prend en charge le remplissage de mes flasques, un second me propose à manger, un autre des glaçons. Au top !

Le temps de faire le plein d’eau et d’avaler un coca et j’enchaine sur la piste. Je reconnais bientôt le site d’un de nos bivouacs d’avant course. C’est un petit réconfort que de retrouver ce petit coin connu.

Sur la piste, la neige disparaît et la progression se poursuit sans avoir été doublé ni avoir revu Tofol et Alex. L’allure est bonne sur la large piste légèrement descendante qui  mène jusqu’à Miller’s Defeat où j’effectue un nouveau ravitaillement rapide. La chaleur commence à monter mais j’attends le ravitaillement suivant pour récupérer ma casquette customisée par Sandrine ainsi que mon tour de cou magique, dans lesquels je pourrais glisser des glaçons.

Dans cette nouvelle portion de piste en faux plat descendant rapide, je gère mon allure pour garder des forces pour la partie difficile. Deux coureurs américains me dépassent juste avant l’arrivée à Dusty Corners. Le pied va mieux, la tête également. Me voilà enfin dans la course que j’avais imaginée depuis de long mois !

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Dusty Corners, 61,1km : un tiers du parcours effectué sans souffrir des ardeurs du soleil. Une bonne chose de faite ! Et en restant très prudent.

Céline et Xav sont là. Je jette casquette et flasque, refuse un gel puisque j’ai encore celui de Duncan Canyon et que les bananes glanées sur les différents ravitaillements me suffisent mais par contre j’accepte avec plaisir les grands verres de coca !

A l’ombre, un thermomètre indique 41°C…il est 11h du matin ! La cagnasse s’installe.

Céline me tend le tour de cou rempli de glaçons et la casquette que je visse sur ma tête tout en répartissant la glace qu’elle renferme. Me voilà prêt pour la première partie réputée difficile de la course : l’enchaînement de deux canyons où la chaleur est dite torride !

C’est reparti sous les encouragements de mon staff et des bénévoles, en lançant « à tout à l’heure » à mon assistance.

C’est parti, en songeant qu’au terme de ce passage, je retrouverai Xavier mon pacer et que ce sera d’un grand réconfort pour la fin de course.

La piste est bonne et je progresse à un bon rythme dans ce long faux plat.

Au bout de 5’, j’ai la désagréable impression d’avoir la main droite toute collante… Je ne vois pas du tout d’où cela peut provenir ? Tiens, mon short est tout mouillé ! Je ne m’étais pas rendu compte que je transpirais autant…

J’essaye d’essuyer ma main sur le short mais rien n’y fait, elle reste aussi poisseuse.

Tant pis, je laisse tomber on verra ça au prochain poste.

Cinq minutes plus tard, tentative pour boire… en vain ! Damned ! La flasque de 750ml, celle située sur mon flanc droit, celle où devrait être ma boisson énergétique…est VIDE !

Je comprends mieux maintenant l’histoire de la main collante et du short mouillé.

Court moment de panique. Ne reste plus que ma flasque de 350ml sans boisson énergétique pour faire l’une des parties les plus chaudes de la course et il reste 30km avant de revoir mon assistance pour récupérer un nouveau bidon ! Scénario catastrophe.

Heureusement d’ici là je rencontrerai quelques ravitaillements intermédiaires qui me permettrons de refaire le plein…de ma petite flasque. Pour l’instant, j’ai 8,5km à parcourir jusqu’au prochain pointage avec mes 350ml d’eau.

Par chance c’est un long faux plat qui m’emmène à… « Last Chance ».

Je commence à mieux comprendre le nom de baptême de ce ravitaillement !

L’eau commence à manquer et deux nouveaux coureurs me doublent. Enfin arrivée au ravito suivant où je refais le plein de ma seule et unique flasque utilisable. J’engloutis coca et eau, remplis mes réserves de glaçons autour du cou et sur la tête, mange un bout de banane et me décide à repartir pour la portion… qui pourrait m’être fatale !

C’est que maintenant le chemin quitte « Last Chance » pour se diriger maintenant vers le poste suivant de…« Devils Thumb » !  Et là ça va réellement devenir l’enfer.

C’est 7,2km à parcourir via Spring Canyon, là où la température atteint allègrement les 45/ 50°C… Je n’ai qu’une solution pour atteindre Devils Thumb : rationner l’eau et optimiser l’allure en ne prenant pas de risque.

Un coureur me double dans la descente, deux dans la montée suivante.

Heureusement, les chutes de neige ont été exceptionnelles cet hiver et quelques torrents me permettent de me rafraîchir et de boire. Une providence.

Mais une providence qui me permet tout juste de « survivre » et de rallier le point suivant en mode éco++. Le problème c’est que, sur pareille course, se rationner c’est pas un bon plan.

Le ruisseau au bas du canyon franchi, c’est la remontée vers Devils Thumb. Un enchaînement de lacets qui voit deux coureurs revenir sur moi et me doubler, je sens que je ne suis pas au mieux et que le manque d’eau se fait sentir.

Les minutes sont longues et chaudes mais je vois enfin arriver le sommet. Le poste de contrôle est bientôt atteint et les bénévoles m’y accueillent « chaleureusement » !

Je bois au passage et me dirige directement vers une chaise pour m’y reposer pendant qu’on remplit ma seule petite gourde valide. Gros coup de chaud… et nous n’en sommes qu’au 77ème kilomètre ! Encore 84, la mi-course n’est pas passée !

Un bénévole français s’enquiert de mon état. Je lui explique ma mésaventure. Il me glisse qu’il va essayer de trouver une bouteille ou une gourde pour remplacer la mienne. J’en profite pour boire et manger un bout de banane.

Rapidement mon compatriote revient avec une petite bouteille plastique de 500ml. Ouf, sauvé ! Hélas un responsable du poste lui indique en anglais que ce n’est pas possible. L’assistance hors des points autorisés pour les assistances personnelles…n’est pas permise !!! Rien à dire, c’est le règlement.

Il me regarde dépité pour me faire comprendre qu’il ne peut me donner cette bouteille. Je le suis encore plus ! Il tente dans un dernier espoir de réparer ma flasque percée et me la rend pleine et scotchée, je doute de la réparation mais remets ma flasque en place et repars en trottant pour entamer la descente vers le second canyon après quelques hectomètres de plat.

Progression sage dans cette belle descente en économisant mes ressources afin de pouvoir mieux repartir un peu plus tard.

Dans ma concentration à rationner l’eau, j’en oublie que le ravitaillement suivant, El Dorado Creek, se trouve au fond du canyon avec un passage de rivière à gué.

Je me baigne pour refroidir le corps et bois à nouveau.

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Dernière montée avant de retrouver mon assistance. Je repars motivé en remplaçant la course par une marche à grandes enjambées pour m’économiser. La chaleur est étouffante.

Il y a 4,5km d’ascension pour arriver à Michigan Bluff. Je souffre mais poursuis la marche en avant. Un coup d’œil de temps en temps à mon gps : les chiffres de l’altimètre défilent au ralenti !

Après d’interminables minutes, la pente s’adoucit, je croise des photographes, annonce de l’approche du ravitaillement.

Michigan Bluff est enfin là. J’y entre dépité, en mode zombie avec une tendinite au genou (syndrôme de l’essuie-glace). Céline, inquiète, me demande des nouvelles, je lui raconte mes misères et lui laisse mon veste-sac d’hydratation. Copieux ravitaillement.

Des médecins viennent également prendre la mesure de mon état physique puis c’est petite séquence ostéo. Un médecin vient me poser un scratch autour du genou pour maintenir le tendon et éviter d’enflammer encore plus la zone.

Un grand bidon rigide (et étanche !) vient garnir ma ceinture porte bidon et je glisse une petite flasque dans ma poche de short.

Après une bonne quinzaine de minutes pour tenter de me remettre de ma déshydratation avancée c’est à nouveau reparti sous les encouragements des bénévoles et des spectateurs ainsi que de mon staff Céline et Xavier. Xavier que j’ai hâte de retrouver au pointage suivant pour qu’il puisse enfin remplir son rôle de pacer qui me sera d’un soutien indispensable.

Les 10km qui m’en séparent s’annoncent plutôt roulant sur de bonnes pistes.

Mais dès le premier kilomètre, la reprise de course s’annonce chaotique. Je ressens maintenant une douleur à la poitrine qui m’empêche d’avancer normalement. Me voilà contraint de progresser à vitesse réduite, bridé par cette oppression.

La mi-parcours est franchie mais la fin de course promet d’être laborieuse. Une belle descente sur piste comme je les aime s’offre à moi et je suis au ralenti ! C’est frustrant !

En faisant preuve de patience et de persévérance, je remonte lentement vers Foresthill. J’arrive à courir à petites foulées dans l’ascension, mais toujours en retenue par rapport à cette oppression au niveau de la poitrine et des crampes du diaphragme.

Aucun adversaire ni devant ni derrière. Hésitations sur une longue portion sans balisage, faisant même demi-tour sur quelques mètres pour m’assurer que je suis bien sur le bon chemin.

Foresthill est bientôt là. Attaque d’une portion goudronnée qui parait encore plus pentue, mais je maintiens ma petite foulée. J’ai vraiment hâte de retrouver mon assistance et de commencer l’aventure avec Xavier en espérant pouvoir me relancer dans la course.

Arrivée à la route que nous avions repérée durant la semaine. Le ravitaillement est tout proche.

Faux plat descendant le long de la route. L’école qui abrite le poste est bientôt en vue. Le moral remonte et la foulée devient plus ample. J’en profite pour souffler à fond et tenter de relâcher le diaphragme.

Voilà l’école, nouveau ravitaillement, et 100km de parcourus. Changement de montre par manque d’autonomie de la mienne, ravitaillement liquide et solide bien qu’il me soit difficile de m’alimenter. Point positif, la douleur au genou a disparu grâce à la bandelette appliquée sur le tendon.

Le ravitaillement est plus rapide que le précédent. Remplacement des bidons et c’est reparti, enfin en compagnie de Xav qui doit prendre son rythme.

Sa présence apporte un sérieux réconfort. La douleur à la poitrine s’est un peu atténuée. Nous arrivons à courir à une dizaine de km/h, une misère dans cette longue descente.

Arrivée au point de ravitaillement suivant de Dardanelles, où nous n’effectuons qu’un rapide arrêt. Xav remplit ma flasque, et nous poursuivons. Le parcours devient un enchaînement de  petites montagnes russes avant d’enchainer sur une belle descente que je ne peux malheureusement toujours pas exploiter comme je le voudrais.

Passage à Peachstone au 114ème kilomètre, il fait toujours aussi chaud et même Xav qui est « frais » en mesure la lourdeur.

Cette longue descente depuis Foresthill fait du bien et nous permet de progresser en limitant la casse. Nous reprenons même un coureur qui avance au ralenti.

Ford’s Bar : 117,5km. Nous poursuivons et arrivons en surplomb de la rivière qui s’écoule juste au dessous.

La piste descend au bord de rivière, mais la chaleur est malheureusement toujours aussi intense. Devant nous un coureur accompagné d’un groupe. Je reconnais vite le maillot troué de Jim Walmslay, le grand favori qui a explosé en vol. Départ sur des bases un peu ambitieuses ?

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Quelques minutes et nous voilà à River Crossing. Le franchissement qui, les autres années, s’effectue à gué, se fera cette année en bateau le niveau de l’eau étant trop élevé avec la fonte des neiges.

Nous retrouvons Céline, toujours au top dans son rôle d’assistante. Ravitaillement. J’enchaîne quelques verres de coca et réclame du bacon à Céline qui s’apprête à remplacer le bidon de ceinture. J’ai un besoin de salé dans la bouche. Xav de son côté se réhydrate. Tout est prêt. Je prends ma petite flasque et nous descendons à la rivière pour nous jeter à l’eau et nous rafraîchir à nouveau.

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C’est ensuite la traversée bateau, munis des gilets de sauvetage réglementaires.

Traversée rapide et nouveau départ pour 2,9km de montée jusqu’à Green Gate.

A peine 500m de parcourus et je suis pris de vomissements. Le bacon ne passe pas. Pas d’affolement, le bacon ressorti  ça ira mieux, j’ai de l’expérience sur ce chapitre !

Je prends soin de tout vomir, et repars avec Xav qui ne manque pas une fois encore de m’encourager et de me motiver.

Une petite gorgée d’eau pour réamorcer le circuit…Zut, la gourde de ma ceinture a disparu ! J’ai du perdre le bidon de boisson énergétique dans la rivière en sautant dans l’eau.

Mauvaise journée !

Ce sera donc régime sans boisson énergétique entre le 60èmè et le 90ème kilomètre.

En re-visualisant plus tard les évènements avec Céline on réalisera qu’en fait dans la précipitation Céline qui avait préparé le bidon l’a laissé par terre alors que je lui demandais en même temps du bacon.

Bref, petit coup supplémentaire au moral même si je positive et que la présence de Xav est bénéfique.

Heureusement, il reste un stick de boisson Effinov dans ma poche. Je le verse directement dans ma petite flasque de 330ml pour faire immédiatement le plein d’énergie au risque d’aller encore plus mal et de vomir à nouveau.

Arrivée à petite allure au poste de Green Gate où l’arrêt sera bref. La femme de Thomas nous annonce les écarts : je suis encore autour de la 13ème place. Mais peu importe le classement même si je souhaiterais limiter la casse et rentrer dans le top 10, synonyme de wild card pour l’année prochaine.

Nous poursuivons, de plus en plus péniblement pour moi, sur un single qui pourrait, en d’autres circonstances, être magnifique.

Malgré notre faible allure, nous progressons toujours régulièrement. Il n’y à plus de grosses difficultés, les seules restantes étant l’enchaînement des deux ascensions finales d’environ 350/400m de D+ chacune. Bientôt nous doublons Dominick Layfield encore plus mal que moi.

Je me sens vidé, en manque d’énergie. Mes déboires successifs commencent très sérieusement à peser lourd. J’ai la poitrine de plus en plus oppressée.

Je commence à imposer la marche à Xav.

C’est le début d’une longue, très longue marche. Marche ou crève…

A quelle distance sommes-nous du prochain ravitaillement ? Nous ne savons plus trop mais la portion nous parait très très longue.

Enfin, enfin, après beaucoup de marche, nous arrivons à Auburn Lake Trails. Il fait déjà très sombre, mais toujours chaud même si la température à légèrement diminué.

Nous pénétrons dans le poste de ravitaillement. Je dois me poser. Nous y restons entre 5 et 10’. Je perds la notion du temps. Je m’hydrate, je me rafraîchis.

Il faut repartir. Nous repartons.

Il fait maintenant nuit mais ma petite frontale n’éclaire rien. Heureusement, Xav a pris la sienne qui éclaire pour deux.

Impossible de courir, la douleur est trop grande, trop de mal à respirer. Alors nous marchons. Mais même la marche est pénible et dès que le cœur monte, la douleur se fait sentir. Nous voilà partis pour de longues heures de souffrance  physique et psychologique.

Encore une interminable portion de 8,8km. Ce sera plus d’une heure de marche, presque 1h30.

J’ai déjà prévenu Xav que j’avais déjà déconnecté et que je rentrais dans ma bulle. Mais son inquiétude est palpable et à chaque poste de contrôle les médecins l’interrogent sur ma santé.

Quarry Road : encore une pause. Le poste est éclairé par des lampions. Je dois souffler, je m’assieds.

L’air inquiet, des bénévoles demandent de mes nouvelles. Mon état doit faire peur !

Après presque 15’, nous repartons…en marchant. Non tentons brièvement de trottiner, mais rien n’y fait. Même dans cette belle piste descendante, je ne peux plus rien faire. La frustration est grande.

Je murmure à Xav « il faut que je m’allonge ». Il commence à paniquer. Allongé les yeux fermés, je l’entends répéter à de nombreuses reprises « t’endors pas ! » Je sens de l’inquiétude dans sa voix. Je me relève et nous repartons en marchant. Je suis toujours bridé par cette oppression à la poitrine.

Il m’apprendra avoir été si inquiet qu’il à calculé rapidement le temps qu’il lui faudrait pour revenir en arrière jusqu’au ravitaillement et prévenir les secours.

Nous longeons la rivière, j’essaye de trotter à nouveau sur cette portion plate. Nous « courons » à peine à 8km/h !

Nous quittons le bord de la rivière pour attaquer l’avant dernière difficulté. Nous la connaissons pour l’avoir reconnue la semaine précédent la course, mais elle prend maintenant un tout autre aspect.

Je manque cruellement de lucidité et mon esprit s’évade. Je reste focus sur les pieds de Xav qui me précède.

« Ti pas, ti pas » comme ils disent à la Réunion, « Step by step » pour faire local.

Des lumières filtrent à travers les arbres.

La route ? Oui. Dans l’obscurité, je reconnais la carrière à coté de laquelle nous passons, synonyme d’une arrivée imminente à la traversée de la route 49. La reconnaissance de cette partie finale aura été importante.

Un virage et des gyrophares de police tournent dans tous les sens. Nous traversons sous la surveillance de la police et de quelques spectateurs. Il ne reste plus qu’une dizaine de kilomètres mais en marchant le temps va paraitre long. Et malgré tout le temps passé à marcher  je suis encore 14ème. Un miracle !

Nous poursuivons la montée. Une montée facile sans difficultés ni grandes pentes, mais malgré quelques tentatives pour courir, nous en revenons à la marche.

Encore quelques longues minutes et les lumières du ravitaillement suivant apparaissent agrémentées d’un fond musical.

Une nouvelle étape de franchie, l’arrivée n’a jamais été aussi proche. Mais j’ai la respiration délicate et toujours cette oppression.

Je m’arrête sur une chaise pendant que Xav répond aux interrogations et inquiétudes des bénévoles et secouristes sur place.

Il faut que je me détende au maximum, que je souffle. Séance méditation les yeux clos au milieu de brouhaha du ravitaillement.

Je bois, j’essaye un bout de banane mais l’alimentation est compliquée et la tête lâche complètement.

Dominick que j’avais doublé un peu plus tôt repasse devant. Dans un piteux état aussi, mais lui avance. Moi je reste assis à essayer de me retaper.

Après un bon quart d’heure, nous repartons, toujours marchant, sous les encouragements de l’ensemble des bénévoles. Un réconfort éphémère avant de retourner dans l’obscurité, éclairé par la frontale de Xav et son téléphone !

Je suis au bout du rouleau et c’est maintenant clair dans mon esprit fatigué et déprimé : après cette course  j’arrête l’ultra trail. Je finis cette Western et j’arrête.

Mais pour l’instant il faut avancer. Avancer et terminer ce dernier ultra.

Nous nous engageons dans la dernière descente. Une belle descente où il est possible de courir à bonne allure. Je marche.

La première femme, Cat Bradley, nous  double avec son pacer. Elle n’avance pas vraiment très vite, mais moi je n’avance pas du tout. Xav en déprime intérieurement !

Nous descendons, en marchant, avec ponctuellement des tentatives de trot à 7 km/h vite calmées. C’est encore trop rapide pour moi 7km/h, …

Les minutes sont longues.

Plus bas, les guirlandes du pont apparaissent enfin. Nous allons revoir Céline, mais je suis effondré.

Un lacet à droite et voilà le pont. Céline reste forte, dans son rôle. Elle reste positive. Plus que 5km.

Je la prends dans mes bras, ou peut être que c’est elle qui me prend dans ses bras. Je fonds en larme. J’arrête le trail.

Elle me réconforte, je m’assieds sur une barre du garde-corps de No Hands Bridge. Il reste 5km. Je bois, mange un bout de banane, c’est la seule chose qui passe. Je reprends à nouveau mon souffle. Je sens bien que la pause du ravitaillement précédent m’a fait du bien.

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Nous sommes en pleine nuit, je n’ai plus chaud depuis bien longtemps.

Il faut terminer. C’est la Western States Endurance Run, course mythique.

Je me relève, donne le feu vert à Xav et sur un dernier encouragement de Céline nous repartons. Nous repartons même en trottant. Du 8km/h maxi, mais nous trottons.

Je veux ma boucle de ceinture et je vais aller la chercher !

Il y a longtemps que nous n’avons pas avancé aussi vite. L’approche de la ligne sans doute…

Il reste la dernière montée, mais je suis prêt. Nous passons devant une petite cascade dans laquelle nous nous étions baignés lors de la reco, avec une pensée pour la course en nous disant que nous recommencerions pour nous y rafraichir. Pas la peine.

Il est minuit passé et nous voilà pressés d’arriver !

Nous entrons dans le « mur » de cette dernière difficulté. Marche forcée. J’essaye d’allonger le pas, pas mécontent de moi au vu des circonstances.

Le dernier ravitaillement est à vue, nous y arrivons rapidement. Je préviens Xav qu’il n’est pas question de s’y arrêter, plus que 2km, pas la peine de perdre du temps ! Humour…

Nous retrouvons le bitume, toujours à marche forcée, avec encore quelques parties en trottinant.

Et le dernier mile est enfin là. Directement nous nous postons devant le panneau planté là à demeure indiquant le dernier mile de cette course historique. Photo souvenir. Nous y sommes. Après la photo d’avant course à ce même point, nous y revoilà pour conclure l’aventure. Et quelle aventure…

Plus qu’1,5km, nous y voilà, mais la fin n’est pas simple, la route s’élève encore. Jusqu’au pont de la voie ferrée. Derrière, on perçoit les clameurs du public motivé encore debout. Derrière nous un poursuivant ou plutôt une poursuivante. Je suis 16ème  et entend le rester.

Ah non…pas question de perdre encore une place. Pour l’honneur. L’honneur de quoi, je ne sais pas bien. Mais malgré tout, nous n’en restons pas moins des compétiteurs !

Dernier coup de collier et nous repartons en courant dans la petite descente qui nous mène au stade. Il ne reste plus qu’à se laisser couler. C’est la fin.

Le stade d’Auburn. Mythique.

Les images des arrivées des années précédentes visionnées sur youtube deviennent réalité. Après 100 miles, 161kilomètres, j’entre sur le stade accompagné de Xav, avec Céline qui nous félicite.

Un dernier tour de stade ou les sentiments se mélangent.

Joie d’en finir. Heureux de terminer cette course mythique avec un ami.

Déçu d’être si loin de mes ambitions.

Dégouté d’avoir autant souffert sur la moitié de la course.

Triste de ne pas avoir pu profiter pleinement de cette Western.

Soulagé de me rapprocher de la ligne sans catastrophe.

Dur, très dur mais un beau moment de partage.

Et nous finissons notre tour de stade, applaudis par les nombreux spectateurs encore présents en pleine nuit.

L’arche d’arrivée, sobre, avec son écran digital indique 19h46 à mon passage. C’est fini !

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Moment de réconfort et de pause, petite photo souvenir assis sur trois chaises qu’on nous tend. C’est terminé.

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Une course créée pour tester l’endurance des chevaux. Pour voir si 100 miles c’était réalisable. Une course transformée en torture pour moi, humain.

Je mets de côté mon objectif personnel, pour revenir au challenge et à l’âme de la course : courir le 100 miles de la Western States Endurance Run en moins de 24 heures.

Le contrat est quand même rempli.

Maintenant, il faut récupérer. Je ne sais pas encore comment va évoluer ma suite sportive, mais là j’ai besoin de repos !

Quant à mon retour, lorsque j’ai raconté ma course à mon grand garçon, il m’a dit en toute innocence : « mais papa, c’est quand tu es tombé que ta gourde c’est percée… »

Effectivement, c’est fortement possible étant donné que je suis tombé du côté de la gourde qui plus tard fuyait !

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